Le 31 Juillet 2012
PRÉ-RAPPORT
sur la thèse de doctorat de Marilina Gianico,
dans le cycle « Les littératures de l’Europe unie », auprès de l’Université de Bologne, Directeur de thèse prof. Ruggero Campagnoli,
еt titre :
La représentation du pathétique masculin dans le roman sentimental européen
au dixhuitième siècle.
Une réflexion sur l’imaginaire littéraire (1740-1815)
La thèse présentée à soutenance porte sur un sujet bien posé, ample et révélateur des relations entre les littératures sur le continent européen. Ce sont des questions qui ont été étudié largement, mais que la doctorante a sue la poser d’une nouvelle manière et en se servant d’un matériel très riche, aussi bien littéraire que du domaine des beaux-arts.
Effectivement l’étendu de la thèse couvre les années annoncées dans le titre, tout en jetant des liens vers les époques précédentes et vers la continuité des tendances envisagées. La formulation de la thèse est très réussie, notamment à étudier le pathétique masculin dans le roman sentimental, en admettant que le pathétique féminin semble être plus reconnaissable. Le roman sentimental, comme élément du titre, cerne également très bien la problématique de la thèse. Enfin la démarche ouverte sur l’imaginaire littéraire permet un regard thématique sur les œuvres picturales de l’époque et respectivement prépare l’attente d’une vue d’ensemble sur les tendances étudiées.
Le volume de la thèse est important : 511 pages, divisées en trois parties et 9 chapitres, chacun à plusieurs paragraphes et sous paragraphes, une Conclusion, une Bibliographie très riche, une Annexes de 40 documents iconographiques, classifiés thématiquement. Je vais tout d’abord énumérer les réussites les plus importantes de la recherche et que j’ai pu constater dans les différentes parties de la thèse.
Un sérieux acquis de la thèse se trouve dans le fait que Marilina Gianico s’était orienté à étudier le sujet proposé dans l’ampleur de la vie de l’époque où la littérature baigne dans un contexte culturel beaucoup plus vaste: de philosophie, de développement des sciences, notamment de la médicine, des autres arts. Je trouve que la démarche de mettre à côté de l’étude des textes un parcourt bref des acquis de la médecine et de la science est très réussie, et je cite de la thèse, p. 46 : « l’histoire des découvertes médicales s’entrelace à celle des représentations artistiques. » Je voudrais signaler de même la clarté méthodologique de l’entreprise de Mariline Gianico qui délimite clairement la période quand le roman sentimental devient un genre reconnu et pris au sérieux dans les société occidentales (p. 49) : « Bien sûr, avant Richardson il y avait eu Prévost, et Marivaux, et le Crébillon fils de Les égarements du coeur et de l’esprit pour saisir les nuances de sentiment de personnages à l’âme sensible et à la sensibilité inquiète, mais ce n’est qu’avec l’auteur de Clarissa que la prose fictionnelle acquiert l’estime des savants et des moralistes et qu’elle s’émancipe de l’anathème et des accusations de frivolité, immoralité et corruptions des moeurs qui obscurcissaient sa renommé depuis son essor. »
Plus concrètement, je peux signaler aussi plusieurs autres conclusions dans la thèse qui me semblent bien formulées et argumentées. Il s’agit d’une idée nouvelle et indépendamment formulé quand l’auteure écrit (p. 108): « pour Julie et Saint-Preux, ainsi que pour le précepteur d’Émile, la vertu est la capacité de se vaincre soi-même, d’aller à l’encontre de ses penchants passionnels, de ne pas se laisser posséder par la violence tyrannique du désir : «Chère amie, ne savez-vous pas que la vertu est un état de guerre, et que, pour y vivre, on a toujours quelque combat à rendre contre soi? » (p. 271) écrit Saint-Preux à Mme de Wolmar. » Tout aussi juste est la conclusion (p. 267) de la filiation du pathétique masculine au modèle féminin, ainsi que la voie de recherche prise pour étudier l’imagerie caractéristique de l’amour au XVIIIe s. en comparaison avec le discours religieux, avec l’idée de sacrifice et de dépassement de soi. J’apprécie de même comme des réussites de la recherche et de l’interprétation les paragraphes sur « L’intimité violée » (5.1.2.) et sur « Lettres mouillée de larmes, mains arrosées de pleurs » (5.1.3.) L’analyse ici et dans d’autres passages semblables montre d’une manière convaincante comment fonctionne le texte, souvent dans une mise en abyme.
Parmi les réussites de l’ouvrage je voudrais souligner de même la parfaite connaissance des langues des originaux (français, anglais, allemand et italien), la connaissance de l’histoire des littératures européennes occidentales, et, surtout la capacité de montrer l’évolution des idées de l’amour, représentée dans les romans sentimentaux. La doctorante crée l’image d’une unité littéraire grâce à l’étude de même des traductions qui ne tardent pas à se manifester dans le contexte de l’Europe occidentale. (Je souligne occidentale car, des traductions et des réminiscences ont été réalisées de même dans les autres littératures du continent, sans avoir encore été étudiées d’une manière comparée.)
J’apprécie également la capacité de Marilina Gianico de faire des analyses détaillées des textes, en se basant sur l’évolution des idées religieuses et philosophiques, ainsi que des réalités sociales de l’époque – р. 319 : « Le pathétique amoureux se surimpose et se mélange, dans ce bref roman, au pathétique familial et trouve son ressort principal dans cette idée de nature qui était un des principaux moteurs de la représentation larmoyante. » Ici se cache un dramatisme de l’époque – cette nouvelle idée de la nature qui prime est d’une grande valeur. L’homme sait qu’il peut être libre, comme les primitifs, mais en fait il dépend toujours de son origine et sa classe.
L’approche à la problématique et très souvent supportée par la présence des images, ce qui confirme les idées de la thèse sur le spécifique dans la pensée du XVIIIe siècle : (р. 397) « Celui-ci montre la valeur toujours vivante de la parabole religieuse, désormais déjà absorbée par le contexte laïque. À confirmer les analogies entre la peinture sentimentale de
Greuze et le roman sentimental qui lui est contemporain, la lecture de la Bible se révèle un outil diégétique dont les potentialités seront exploitées et traduites en poétique : la valeur exemplaire du tableau, de l’exemple, de la dimension imagée du discours deviennent des éléments actifs de la composition. »
Le style de la thèse est plutôt attractif, il contient de même quelques expressions métaphoriques bien placées, dont, par exemple : « Il faisait plutôt partie d’un mouvement culturel qui, après les années ’30 du siècle, avait fait tache d’huile en Europe » (p. 17).
Il faudrait souligner également que le corpus des oeuvres littéraires analysées est significatif. L’appareil critique de même.
En résumant les réussites de la thèse, je rappelle l’ampleur du matériel, la maîtrise et la sûreté de manipuler un pareil corpus énorme, plusieurs analyses bien précises et nouvelles qui définissent l’apport de cette démarche pour l’étude en littérature européenne.
Je ne peux pourtant ne pas m’attarder de même sur les problèmes qui restent à être résolus, afin que la thèse prenne un aspect approprié pour être publié. Une question principale serait la démarche de la doctorante de citer les autorités en critique littéraire et en histoire de l’art très abondamment, de façon à se faire perdre comme auteur d’une analyse nouvelle du phénomène culturel. Souvent des nouveaux paragraphes commencent avec des citations et autre fois les phrases finales ne sont que des citations. Cela est valable même pour la Conclusion finale, qui, par contre, devrais récapituler les nouvelles idées qui découlent vraiment de cette étude. Maints paragraphes de la thèse commencent par introduire des idées d’autres auteurs et créent l’impression que la présentation de la littérature sur le sujet continue tout au long du texte de la thèse. Même dans les conclusions l’auteure continue à se servir de citations d’autorités. Pourtant c’est le moment de se retrouver indépendante et d’émettre ses propres conclusions.
Il y a certaines affirmations qui semblent imprécises : p. 20 – « L’époque de Chateaubriand est aux portes et avec elle la Restauration. »– Y a-t-il une raison de parler d’époque de Chateaubriand, s’agirait-il de Chateaubriand comme écrivain ou comme politicien ?
D’autres observations se réfèrent aux pages suivantes:
– p. 22 : « dans les cultures de la Méditerranée, une figure sociale particulière, celle de la pleureuse » – Il faudrait essayer de ne pas être exclusiviste – c’est une figure sociale beaucoup plus largement répandue dans les cultures européennes et ailleurs.
– p. 23 : Dans l’énumération des conceptions sur les larmes, il faut respecter la chronologie : grec, puis latins. Toujours là, l’expression « Dans la culture européenne » est risquée. Il vaut mieux un pluriel pour ce contexte.
– Toujours là nous lisons un texte qui n’est consistent : il commence avec la comédie, après viennent les croyances populaires, puis la culture littéraire: « Dans la culture européenne, les pleurs des femmes ont suscité parfois des réactions ambiguës : dans la comédie, dans les croyances populaires dont elle est parfois la voix (mais plus en général dans la culture littéraire, dans laquelle cette méfiance misogyne est devenue un topos), les larmes féminines — qu’on suppose versées ad hoc pour convaincre et persuader les amants — suscitent de la méfiance en même temps qu’un grand trouble dans l’imaginaire des hommes. »
– Les larmes masculines dans la culture européenne est le titre d’un paragraphe de l’Introduction mais il ne correspond pas au contenu : les recherches sur la sensibilité et les larmes en général.
– Pour le paragraphe 2. Job ou les épreuves de la vertu la comparaison à Job ne me semble pas convaincante. C’est sa foi qui est mise en épreuve pour ce personnage biblique, tandis que dans les romans sentimentaux, c’est une expectation sociale qu’on veut mettre à l’épreuve.
En ce qui concerne la présentation du texte : la graphie des paragraphes me gène énormément dans la variante PDF que j’ai lue. Il faut procéder à un retrait pour chaque nouveau paragraphe, car la thèse est en français et non pas en anglais où la norme est à l’inverse. En même temps il est recommandable de diminuer le nombre de paragraphes – presque chaque nouvelle phrase, parfois. Ainsi morcelé, le texte est vraiment gênant pour le lecteur. Cela laisse un sentiment de fragmentaire pour toute la thèse et diminue ses qualités.
Il y a des accents qui manquent, la syntaxe cloche parfois, énormément de fautes de frappe, mais aussi d’orthographe. Il manque parfois des références bibliographiques en bas de page. Le principe adopté de traduire tous les textes cités en français n’est pas toujours respecté.
Parfois il y a des citations faite d’après une autre étude: vaut mieux signaler le fait au début de la note (par ex. p.43 – notes 79 et 80).
Ailleurs, comme en p. 306, des titres ne sont pas signalés ni par italique, ni par guillemets.
Et pour terminer, je voudrais poser quelques questions à la doctorante:
1. Dans le paragraphe 2.2.2 Les épreuves de la vertu : Pourquoi une femme – Clarissa est prise comme exemple pour représenter l’épreuve de la foi ? – si c’est le pathétique masculin que la thèse étudie ?
2. En ce qui concerne 4.2.3 Vertu et faute dans la dernière partie du siècle,
p. 250: “Werther, homo eroticus, comme le définissait Giuliano Baioni, en se référant à cette insatiabilité du désir compulsif de consommation de la société bourgeoise, est le prototype du nouveau modèle d’individu et d’amant. Son amour trouve en soi–même le germe de son angoisse, parce qu’il est à la fois sans objet (Lotte n’existant pas pour lui, si non en tant qu’objet, muet, du désir) et sans bornes. Il ne peut que finir par la mort.” – Pouvez vous donner d’autres preuves de l’appartenance de Werther au nouveau modèle bourgeois? Que pensez vous de la forme du roman épistolaire dans ce contexte ?
3. En p. 306 la recherché est plutôt thématique et poursuit les différents aspects de la sensibilité nouvelle. Mais n’insiste assez sur la nouvelle conception sur la vie humaine de cette époque. Le retrait des dogmes religieux, ainsi que de l’effritement de la conception d’obligations envers l’état, mènent à une liberté de la décision qui, à son tour, pose ses difficultés devant les hommes et les femmes. La liberté personnelle est en cause. À quel point on reste honnête, en prenant tout seuls les décisions? Le suicide en est un des aspects.
Pour généraliser, il me semble que la doctorante a réussi dans son projet de thèse et a su étudier un problème novateur et ample, à répercussions sur tout le continent européen. J’espère de même que mes notices critiques et mes questions lui seront utiles pour améliorer son texte. Tous les apports importants, que j’avais signalés dès le commencement, me permettent de recommander la thèse de Marilina Gianico sur La représentation du pathétique masculin dans le roman sentimental européen au dixhuitième siècle. Une réflexion sur l’imaginaire littéraire (1740-1815) comme digne de lui valoir le titre de Docteur en littérature comparée, à la suite d’une soutenance réussie.
Prof. Dr.Sc. Roumiana L. Stantcheva
Université de Sofia « St. Kliment Ohridski »